France, 2055
— RESTE AVEC MOI, RESTE AVEC NOUS, hurlais-je.
Penchée au-dessus de son corps, je le secouais. Il n'avait pas le droit de nous abandonner... Pas après tout le chemin déjà accompli. Je le secouais mais ses paupières refusaient de s'ouvrir. Je le secouais mais il refusait de bouger. Rien. Le vide. Le néant. La mort l'avait emporté après une longue agonie. Mais je refusais d'y croire, de le voir. Non... Il n'avait pas le droit de nous abandonner. Posant mes deux mains sur ses joues, je le suppliais de rester. Entre deux sanglots, je l'appelais. Il devait se réveiller. Il devait nous revenir... me revenir.
— Aubrey... je t'en prie... soufflais-je.
Une fièvre fulgurante l'avait emporté loin de moi. Un poison mortel et je n'avais rien pu faire. Je le voyais s'éteindre et je ne pouvais rien faire. Avec tendresse, je caressais sa joue... sa joue encore chaude alors qu'elle était d'ordinaire si froide. Il ne s'écoula que quelques secondes avant que son corps ne devienne poussière et mes sanglots redoublèrent d'avantages.
— Ariana, Ariana! La voix de ma soeur retentissait. Proche et lointaine en même temps. Je perdais pied et le monde m'entourant se dérobait sous mes pieds. Je ne voyais que ce tas de cendres. Et j'avais mal. Et j'hurlais. Cette peine qui déchirait chacun de mes membres. Cette détresse me paralysait. Des bras puissants me saisirent par la taille pour me soulever. Mes jambes soutenaient à peine mon propre poids. Pourtant, j'essayais, vraiment. Ma vision brouillait par les larmes, je reconnaissais néanmoins la silhouette de Keira me faisait face. Malgré l'urgence, elle se fit tendre en passant une main dans ma chevelure.
— Ariana... On doit y aller. C'est le moment. — On doit faire vite, murmurait la voix de Samuel.
C'était ses bras, puissants et musculeux, qui me maintenaient debout. Mais il ne pourra pas et courir, et me porter. Je les ralentirais. Je le savais... et j'essayais de prendre sur moi. J'essayais de me ressaisir. Me mordant la lèvre à sang, mes prunelles naviguèrent sur toutes les personnes présentes. Il y'avait ma sœur jumelle Keira, mais également Roxane, Jérémie, Tamara, Zayne et Cassandre. Ils comptaient sur moi. On comptait les uns sur les autres. Je ne pouvais pas les ralentir. Je n'avais pas le droit d'être aussi égoïste.
— Je suis prête. A mes mots, chacun d'entre eux s'armèrent. Ils étaient prêt à combattre. Ils étaient prêt à sacrifier leur vie... et je n'étais pas certaine d'être à ma place. Keira me tendit une arme. Une dague.
— Pour te défendre, au cas où...Au cas où ils tomberaient tous avant d'avoir accompli leur part du boulot. Au cas où elle n'était plus là pour me protéger. Ravalant cette montée de larmes, je pris possession de l'objet.
La bataille finale avait commencé...
* *
*
La terre tremblait sous nos pieds. Un bruit assourdissant, pareil au tonnerre, bourdonnait à nos oreilles. Tremblant de la tête aux pieds, je levais mes claires prunelles vers le ciel. Ses nuances de rouges et d'oranges donnaient l'impression que le ciel prenait feu. Quelques éclairs zébrèrent ce tableau rougeoyant et le vide lui-même semblait se fendre en deux pour laisser apparaître un dragon.
On avait échoué.
De nouveaux tremblement de terre m'ébranlèrent. Perdant l'équilibre, mes fesses tombèrent lourdement sur l'herbe humide et poisseuse. L'herbe verdoyante n'était à présent qu'un terrain vermeille, souillé par tout ce sang versé. Un terrain jonché de cadavres. Keira tendit sa main sanguinolente vers moi et je la saisi pour me remettre sur pieds. De là où on était, on avait une vue d'ensemble sur la ville... qui tombait petit à petit ruine. Ces bâtiments, réduit à néant. Ces explosions retentissant de partout. Ces bagarres. Ces meurtres. Bien qu'éloignées de la ville, on entendait les cris des habitants, agonisant, souffrant, terrorisés.
— On y va, ordonna Roxane.
Et pour cause, une légion de démons arrivaient vers nous. On devait fuir et vite. Le plan B était mis en action. Suivant Roxane et ma jumelle, je m'engageais dans la forêt. Mon corps devenait douleur. Tout mes muscles me criaient d'arrêter. Ils n'en pouvaient plus. Les minutes passaient. Mes pieds foulaient l'herbe, la terre. On sautait par dessus des vieilles souches. On tombait pour mieux se relever. J'inspirais et expirais l'air et j'avais l'impression d'avaler une goulée de flammes. Je n'en pouvais plus. J'avais chaud. J'avais soif. On courrait, toujours plus loin, toujours plus rapidement. Les seuls moment de répit résidaient dans les rares altercations entre un démon lambda et nous. Mais Roxane et Keira avaient vite fait d'expédier ce soucis... mais ça ne dura qu'un temps.
Encerclées, nous n'avions plus aucune échappatoire et ils étaient bien trop nombreux pour que Keira et Roxane en viennent à bout toutes seules. L'heure de notre mort approchait... et pire que tout, nous n'avions pas pu sauver notre monde. Notre monde... d'après Roxane, il fut une époque où les humains n'étaient pas malmenés. Une époque où les humains régnaient en maître et ils avaient la chance de vivre dans l'ignorance du surnaturel. Fût une époque où la lignée des Tueuses existaient encore. Gardiennes de notre monde, sans elles, nous étions voués à cette fin du monde.
La main de ma sœur trouva la mienne. Elle était prête à mourir au combat. Je le savais pour l'avoir vu se battre à de nombreuses reprises. Je ne pouvais pas encore pareil de moi. Les jeux semblaient déjà fait mais par chance, la cavalerie arrivait. Zayne, Cassandre et Samuel arrivèrent pour nous porter secours. Leur intervention eu le mérite d'ouvrir une brèche parmi nos ennemis et Keira en profita pour s'y engouffrer avec moi. Tic. Tac. Le temps nous était compté et on devait à tout prix atteindre notre destination. Un regard à mes arrières m'indiquait que Zayne nous suivait. Il assurait nos arrières et il avait bien raison. Pour autant je n'étais pas rassurée pour l'autre... et très rapidement, j'en venais à me demander où se trouvait Jérémie. Mort, lui aussi? Ma gorge se noua mais on devait continuer à avancer. Finalement, Keira ralentissait la cadence et m'attrapa par les épaules. Plantant son regard dans le mien, un sourire dénué de sens étira ses lèvres.
— On va rester là. On va protéger tes arrières. C'est à toi de jouer, Ariana. Je voulais paraître forte mais j'en étais incapable. Des larmes dégringolèrent sur mes joues et je sautais dans les bras de Keira. Je ne voulais pas l'abandonner. Je refusais de la quitter. Ses bras m'encerclèrent le temps d'une étreinte puis elle se recula. Elle aussi, pleurait, et ça me brisait que d'autant plus.
— Tout va bien se passer... C'était un mensonge. On le savait.
— Viens avec moi...
— Je ne peux pas. Et tu le sais.
— Mais si tu reste là, tu va mourir...
— Si tu reste là, on aura fait tout ça pour rien. ... et elle avait raison.
— Je t'aime Keira.
— Je t'aime Ariana. Elle déposa un baiser sur mon front et moi, je m'éloignais. La terre, de nouveau, se mit à trembler. Plus fortement que d'habitudes. Je m'écroulais sur le sol... et la terre se fendit en deux. Terrorisée, je me reculais sur les fesses pour finalement me redresser sur mes pieds. Un trou d'une dizaine de centimètres donnait sur le néant... Le vide. C'était comme si il n'y avait pas de fond. Retenant un gémissement, je sautais par dessus ce vide pour rejoindre ma destination. Après plusieurs mètres, j'entendis des voix. Des incantations, pour être plus précises. Je me laissais donc guider par ces voix que je connaissais très bien et je les vis. Deux femmes, grande à la peau opaline. Elles se ressemblaient comme deux gouttes d'eau et possédaient une puissance incroyable. Une puissance qu'elles allaient utiliser pour un seul et unique sort... un sort qui allait les consumer au point de les tuer.
Et je n'avais qu'une chose à accomplir : attendre. Attendre qu'elles finissent... et j'étais terrorisée. L'enfer s'abattait sur terre... la terre trembla encore une fois. Les deux femmes, des Ajatars, ne semblèrent même pas atteinte. Comme si elles étaient au-dessus de tout ça. Ce qui n'était clairement pas mon cas.
De nouveau grondement retentirent dans le ciel. Des éclairs zébrèrent la voûte céleste, très rapidement accompagnée par une pluie de boule de feu. Dans un autre contexte, peut-être que cela aurait pu paraître beau... ou impressionnant. Là c'était d'avantages horrifiant. J'inspirais. J'expirais. Trop rapidement. Je devais calmer ma respiration si je ne voulais pas hyper ventiler.
Il me suffisait d'attendre... et je n'en fis rien. Rien du tout. Des bruits de lutte se faisaient entendre, pas très loin de moi. Avec tout ces arbres et ces feuillages, il était difficile de voir de quoi il en retournait... à moins de m'y rendre. Serrant fermement ma dague, je m'approchais. Il aurait pu s'agir de Keira, ou bien encore de Roxane. L'une d'entre elles auraient très bien pu venir jusqu'ici et être en difficulté. Il était hors de question que je reste sans rien faire. Alors je m'approchais et passer quelques arbres, je compris qu'il ne s'agissait ni de Roxane, ni même de Keira.
Un démon... une jeune femme. Des enfants, terrorisés et cachés. Le tableau se peignant devant moi m'obligeait à agir. Ce monde allait s'écrouler d'une minute à l'autre... que je les aide ou non ne changerait rien. Rien à part moi, qui j'étais. Un dernier regard vers les deux Ajatars et je m'élançais pour venir en aide à la demoiselle prise pour cible. Je n'étais en rien une combattante et mon intervention n'était en rien héroïque. Je dirais d'avantages que c'était une intervention désastreuse.
Des éclairs s'abattirent sur le sol. Plus précisément sur les deux Ajatars. Le sort approchait de sa fin. A peine venais-je de le comprendre qu'un nouvel éclair s'abattit, déchirant le néant. Un portail s'ouvrit devant moi... je devais sauter à l'intérieur. Je le savais mais je me retrouvais paralyser par la peur. Ce sort n'était pas sans risque, sans danger. Et surtout, cela faisait de moi le seul espoir. Une seule et unique personne pouvait traverser se portail... la bonne blague.
En me retournant, j'eus à peine le temps de voir le démon me balancer la pauvre femme en plein dans les pattes. Sous son poids, je chutais en arrière... On chutait en arrière... Toutes les deux, tombant dans le portail.
France, 1990
Le froid l'englobe et l'enserre tel un amant jaloux. Il refuse de la lâcher et la garde précieusement dans son isolement. Les jours passent sans qu'elle ne s'en aperçoit. L'espace et le temps ne deviennent alors que des notions obsolètes. Et elle est là, allongée sur son linceul de l'inconscience. Ses traits paisibles expriment ni peine, ni chagrin, incapable de comprendre toute l'horreur de sa torpeur. Il n'y a rien à part le néant. Ce vide qui l'englobe et l'entraîne dans les abysses. Le temps, il défilait à une vitesse hallucinante. Le docteur Fernandez aimerait par moment pouvoir le stopper. Le temps d'une heure. Juste une heure. Consultant la montre à son poignet, elle lâcha un soupir et trottina à moitié dans les couloirs de l'hôpital. La nuit commençait à tomber mais le nombre de patients ne désemplissait pas. Au contraire. Elle bifurqua dans un couloir et pénétra dans la chambre 312. Ses prunelles se posèrent alors sur la silhouette étendue sur le lit. Une blonde, d'une vingtaine d'année. Elle semblait si paisible, si sereine. Les circonstances de son coma demeurait jusque là inconnue... Cette petite était là depuis déjà trois semaines et aucun changement de son état. Machinalement, elle sortit un stylo de sa blouse blanche et commença à noter les constantes. C'est à ce moment-là que la porte s'ouvrit. Distraitement, elle jeta un œil par-dessus son épaule et constata qu'il ne s'agissait pas d'un membre du personnel.
— Les visites sont terminées.
— Je suis au courant. En guise de réponse, il tendit sa carte à la médecin. Elle put y lire "Wolfram & Hart" et son sourcil se haussa aussitôt. Elle détestait les avocats... mais d'avantages ceux de Wolfram & Hart.
— Martin Vidal, je suis le mari de Carmilla Vidal. — Je vois... mais les visites sont toujours interdites à cette heure-ci, monsieur Vidal. Martin n'avait pas l'habitude qu'on lui tienne tête. D'habitudes, présenter sa carte suffisait. Wolfram & Hart, en plus d'être réputé, était craint et à juste titre. Il était sur le point d'argumenter lorsqu'ils entendirent, tout les deux, une petite voix émerger.
— Où suis-je?
Ariana venait de se réveiller.