(white junior) baby she'll eat you alive as long as she smells your blood in the water.

« Monsieur White » qu’on l’appelle, sauf que ça a tendance à lui ramener de mauvais souvenirs. « Monsieur White », c’est son paternel, l’ombre persistante sur le tableau pas si glorieux de sa famille. « Monsieur White », c’est pompeux et ça ne lui correspond pas, malgré l’image de type coincé qu’il peut dégager. Fréquenter des Anglais, pire, des Observateurs, ça laisse tout de même des marques à la longue. Et puis c’est plus simple d’aborder le problème actuel en prétendant n’avoir aucun sentiment ; la Tueuse qui disparaît, les démons qui font la fiesta et cette Potentielle qu’on lui refourgue en pensant probablement qu’elle va finir comme Elisa. Sauf qu’il n’est pas son frère.

Ezeckiel, il a toujours été ce garçon un peu paumé, celui qui se tournait vers un grand frère qui volait invariablement à son secours. Avec le temps, leurs rapports ont changé, prenant cette maturité et ce sérieux qui ne vient qu’avec l’âge. Mais pour lui, Dean a toujours été important. Essentiel. C’était eux contre le monde entier, eux contre un père poussif et une mère absente. Eux contre l’adversité.

Doué il l’était. Intelligent aussi. Mais Ezeckiel était incapable de cesser de soucier du reste du monde ; son attention était perpétuellement tournée vers les malheurs auxquels il assistait, dont il ne pouvait se détourner. Il voulait aider, il voulait faire une différence. Sauf que les Observateurs, en dignes représentants du nom qu’ils s’étaient donnés, l’avaient remis sur le droit chemin : observe, apprends, consigne. Cela ne servait à rien de s’attacher aux Potentielles, elles n’étaient finalement que des remplaçantes quant à la véritable Elue. Et peut-être qu’à un moment, il avait fini par le croire. C’était plus facile de faire ce genre de boulot quand on n’avait pas de conscience, quand on n’avait pas de sentiments. Quand on n’avait pas d’humanité.

Puis il a fallu qu’on le rattache à cette insupportable gamine. Celle qui était capable de l’envoyer valser à trois mètres de là, malgré son poids plume et sa totale inexpérience du combat. Celle qui avait déjà attiré les regards affamés du genre surnaturel, parce qu’ils pensaient qu’une fille avec une force pareille, ça ne pouvait être que la Tueuse. Raté, les gars. C’était juste une brunette paumée, tout aussi paumée que lui peut-être à ses débuts, absolument incapable de suivre la moindre consigne aussi. Et nettement plus intéressée par la vie que par ses prétendus « devoirs de Potentielle. » Il fallait que ça tombe sur lui, cette histoire, cette serveuse/chanteuse/emmerdeuse. Elle a tout chamboulé, parce qu’elle ne convenait à aucun standard.

Alors de temps à autre, Ezeckiel se souvient de la fâcheuse manie qu’il avait d’envoyer bouler les directives de son père – contre quelques mandales, mais c’était toujours gratifiant. Puis de ce jeune homme qui avait tenté de révolutionner les préceptes des Observateurs : pourquoi se contenter d’observer lorsque l’on pouvait faire plus ? Être réellement utiles dans ce monde pourri jusqu’à la moelle ? Seulement, on lui avait rapidement fait oublier ces conneries chevaleresques. Reste à ta place, White, sinon tu finiras comme ton frère. Un paria, un lâche, un raté. Un mort en sursis, sûrement, vu tout le fatras que ces cinglés de Wolfram&Hart lui avaient foutu dans la tête.

Celui qui l’avait abandonné, alors qu’il n’avait plus que lui. Celui dont la désertion l’avait forcé à reprendre les rênes, à courber l’échine face à un patriarche directif. Parce qu’Ezeckiel n’avait jamais été assez fort pour faire face seul. Parce qu’il ne valait rien sans Dean. Il avait toujours eu besoin de son frère, et l'autre n'avait même pas tenté de se confier à lui lorsqu'il en avait eu le plus besoin. Il ne comptait pas pour Dean, il le savait à présent. La seule chose qu'il lui restait à faire, c'était aider les Potentielles. Ça au moins, il savait en être capable. Et il ne les laisserait jamais tomber.

 
   
« Elle s’appelle Alexandra Mélanie Godefroid. Elle a vingt-six ans. »

Ezeckiel lança un regard par-dessus la paperasse étalée sur le bureau, haussant un sourcil pour le moins sarcastique. Il savait déjà tout ça : sinon, à quoi aurait servi le dossier de trente pages qu’on lui avait refourgué deux semaines plus tôt ? Il avait fait ses devoirs. Cette gamine – parce qu’en dépit de sa vingtaine bien entamée, elle avait toujours cette allure d’adolescente un peu grunge et que de fait, il ne parvenait pas à l’idée qu’elle avait seulement cinq ans de moins que lui – était un véritable aimant à problèmes. Surnaturels ou non, d’ailleurs. Mais étrangement, ce qui l’avait le plus interpellé dans les lignes griffonnées et les textes scientifiques nébuleux à son sujet n’était pas le dysfonctionnement dont elle souffrait, mais plutôt ses hobbys pour le moins atypiques. La chanson, vraiment ? Toutes les filles avaient cette période légèrement rebelle où elles s’imaginaient devenir de réelles stars du rock’n’roll, de la pop ou de toute autre style musical, pourvu que la célébrité suivait. Sauf qu’Alexandra, elle, avait du talent. Le genre brut de décoffrage et insolite, certes, mais impossible à dénier.

« Elle souffre d’un dérèglement des glandes surrénales, ce qui en résulte chez elle à un constant afflux d’adrénaline. Elle… » « … est capable de soulever une voiture, comme ces mères qui développent une force surhumaine pour sauver leur enfant si besoin est. »

L’Observateur pinça les lèvres, peu friand de l’interruption subite de son jeune confrère. Il le lorgna un instant, une poignée de secondes, suffisamment pour faire comprendre à Ezeckiel qu’il ne souffrirait pas d’un nouveau dérangement. Avec un affront à peine dissimulé, l’autre soutint son regard jusqu’à ce qu’il reprenne la parole ; c’était une sorte de satisfaction personnelle que de pouvoir l’emmerder. A défaut de se rebiffer contre quelqu’un d’autre.

« Exact. Inutile de dire qu’à cause de ça, elle risque de se faire rapidement tuer si nous ne parvenons pas jusqu’à elle. A cause de la disparition de la Tueuse… » Il marqua un temps d’arrêt, histoire que le message dissimulé dans cette simple phrase fasse son petit effet. Ezeckiel remua sur sa chaise, ne lui offrant pas la satisfaction d’un sourire entendu. Il savait pertinemment ce qui se tramait dans les coulisses, seulement il avait du mal à supporter l’inaction proposée par les siens. Ou le manque d’action, pour ce que ça changeait. « Les démons et les vampires vont sûrement la confondre avec l’Elue, simplement parce qu’elle est malade. » « Ce n’est pas une maladie. »

Il sourcilla, surprit de la dureté du ton du White. Ezeckiel ne releva même pas, se penchant à nouveau sur les documents qui lui avaient été fournis. Non content d’interrompre l’Observateur chargé de le briefer, il l’ignorait avec suffisamment de pertinence pour le faire serrer des mâchoires.

« Bref. Vous devez retrouver sa trace, en suivant les dernières informations données. Ça ne devrait pas être très difficile, vu qu’elle traîne régulièrement dans les mêmes bars – si tant est qu’on puisse appeler ça des bars. » « Vous devriez sortir plus souvent, Jenkins, c’est plutôt branché ces endroits-là. » Si on aime s’égosiller toute la nuit, pour ensuite en ressortir transpirant et puant la clope, évidemment. « Non merci. Vous avez vos ordres, White. »

Il replia son calepin, foudroyant pratiquement le Franco-Américain de ses prunelles noires. Son comportement, un rien trop déviant pour les standards de son ordre, agaçait profondément Jenkins. Avec le récent scandale de Dean White, il s’attendait à tout moment à ce que celui-là pète aussi les plombs jusqu’à en devenir totalement cinglé. Qu’il déserte ne lui aurait fait ni chaud, ni froid, mais la possibilité qu’il devienne une menace n’était pas à négliger. Comme son aîné, il en savait trop et il pouvait très bien porter préjudices aux Observateurs. Si l’état actuel de Dean était sombrement lié à la magie, il n’avait pourtant pas eu besoin de ça pour être considéré d’un mauvais œil par ses anciens confrères. Et si de prime abord, Ezeckiel semblait plus docile, Jenkins se méfiait.

« Vous partez demain matin. Essayez de la maintenir en vie, White, son cas est suffisamment particulier pour avoir attiré l’attention des hautes instances. Imaginez le potentiel qu’elle pourrait receler, une fois entraînée et activée. » « Laissez-la vivre, Jenkins, c’est encore qu’une gamine. » Il ramassa les papiers, les glissant dans sa pochette pendant que l’autre fulminait littéralement. « Son âge ou ses états d’âme ne sont pas importants. C’est une Potentielle, White, c’est… » « Une humaine. »

Ezeckiel releva brusquement la tête, frappant du plat de la main sur la table en bois massif. Son geste mit subitement fin aux protestations de l’Observateur, l’arrêtant au beau milieu d’une phrase. Il darda ses orbes guèdes sur son interlocuteur, le défiant de reprendre la parole. Puis, avec un geste plus lent, se redressa et passa ses doigts dans ses courts cheveux blonds.

« Soyez tranquille, je ferais mon travail. Elle sera en sécurité. »

Calant son fardeau sous un bras, il salua l’autre en joignant son majeur et son index au niveau de la tempe, s’éloignant à travers les corridors pour ne plus avoir à supporter la face de rat de Jenkins. Il connaissait ses devoirs, on les lui avait encrés sous la peau à grands coups de manuels et de mantras débiles. Observe, apprends, consigne. Les Potentielles n’étaient que des doublures, elles n’étaient pas importantes. Pas tant qu’elles n’avaient pas été activées, en tout cas. Ou pas de la façon dont l’Elue pouvait l’être. Elles étaient … remplaçables, justement. Alexandra était juste plus anormale que les autres, totalement hors-normes par rapport aux standards habituels. Mais il ne la laisserait pas mourir : il n’était pas Dean.

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