You will be good, you will be sweet

Avec son mètre 75, ses longs cheveux blonds et son visage de poupée de porcelaine, il aurait probablement été difficile de ne pas la remarquer. Pourtant, sa chevelure sagement peignés et attachés, ses tenus sombres et ses jupes plissées auraient pu la rendre invisible dans le paysage. Elle savait d’ailleurs à merveille comment se montrer discrète, quand il le fallait. Elle observait tout, voyait tout. Il lui fallait peu de temps pour cerner les individus qui l’entouraient. Et choisir ceux auprès de qui elle souhaitait se rendre sympathique. Car elle savait se rendre sympathique. Oui, elle pouvait se montrer souriante, aimable, avenante, pauvre fille fragile et innocente, malgré tout ce que son père avait pu faire. Malgré tout ce qu’elle était. Elle en devenait parfois fascinante, fille sage et sans histoire, et pourtant impossible à déchiffrer. Elle aurait pu faire croire à n’importe qui qu’elle éprouvait des sentiments d’amitié à son égard.

Nul ne voyait la vérité : elle ne ressentait ni sympathie, ni compassion pour les êtres qui pouvaient l’entourer. Elle les aimait encore moins. L’amour était d’ailleurs un sentiment qui lui était difficile de définir et d’identifier, qu’elle n’était pas certaine d’avoir éprouvé un jour. Qui l’indifférait. Ca n’avait rien de logique, et tout ce qui n’était pas logique la rebutait. Mais ce qui était moins évident encore, c’étaient ses instincts. Des instincts qui la poussaient vers la chasse. Elle choisissait ses proies avec le plus grand soin. Rien n’était meilleur que leur ôter la vie. C’était comme une véritable drogue, tout simplement. Elle ne pouvait y échapper, et elle ne le cherchait pas d’ailleurs. Elle était intelligente. Très intelligente, et particulièrement calculatrice. Si elle comprenait mal les émotions, elle savait en revanche analyser leur fonctionnement et les imiter à merveille. Elle aurait pu être actrice. Elle aurait pu être simplement une élève brillante. Elle était sociopathe, meurtrière, et utilisait des cadavres pour ses propres créations. Reconstituer des êtres et les faire bouger comme des marionnettes. Car si ses capacités de sorcière lui offraient de nombreuses possibilités, c’était celle pour laquelle elle était la plus douée : manipuler les corps comme de vulgaires jouets. Sans l’accord de leur propriétaire, bien sûr.

Elle semblait aussi innocente qu’elle était dangereuse, pour quiconque se serait mis en travers de sa route. Elle n’avait peur de rien ni de personne et son visage d’ange dissimulait de fortes obsessions morbides. Elle n’avait aucun goût pour ce qui semblait attirer les adolescents de son âge, mais éprouvait une forte curiosité vis-à-vis de ces derniers. Malheureusement pour eux…

Son destin avait toujours été clair. Une ligne droite. Elle était héritière d’une puissante lignée de sorcières, établies sur Paris depuis des générations. Du moins était-ce ce que racontait l’histoire. Et cela lui convenait. Elle aimait sa nature, elle aimait se savoir puissante. La seule ombre au tableau demeurait les relations avec sa mère. L’adolescence avait été résolument désastreuse. En particulier le jour où elle tomba amoureuse. D’un humain, rien de moins. Etaient-ce de véritables sentiments ou un désir de défier l’autorité de la matriarche ? Peu importait au fond. Elle s’enfuit à ses côtés, prenant le risque de quitter la sécurité que lui avait toujours apportée sa famille. De s’en aller vers l’inconnu total. Etre enceinte ne fut qu’une motivation supplémentaire. Un enfant que sa mère n’aurait pas. Une victoire de plus. Tant et si bien qu’elle ne s’était pas rendue compte de la nature véritable de son compagnon. Elle était aveugle, grisée par cette liberté nouvelle. Malheureusement, le sort se retourna contre elle. La grossesse se fit encombrante, et loin de ce qu’elle avait toujours connu, elle sombra dans une forme de dépression. Son état mental, de même que son affaiblissement physique furent sans doute responsables de sa fin tragique, lorsqu’elle trouva la mort lorsqu’elle me donna la vie.

J’ignore pourquoi personne ne voulait que mon père me raconte cette histoire. Il n’a jamais eu peur de me la cacher. Il m’a toujours dit la vérité. Il me faisait confiance, il savait que je n’étais pas si fragile. Il me comprenait. Comment pouvait-on croire que cela me bouleverserait ? Je n’avais jamais connu cette femme. Pour moi, elle était une étrangère, un nom sur mon acte de naissance. C’est à peine si je sais à quoi elle ressemblait. Et ça m’est égal, croyez-le ou non.

J’ai toujours su que j’étais une sorcière. Sans pour autant que l’on m’apprenne ce que cela signifiait exactement. Je sentais que j’avais des capacités, et si j’appris plus ou moins à m’en servir, je ne sus jamais vraiment ce que signifiait appartenir à cette race. Ce que j’étais, ce que je savais, c’était mon père qui me l’avait inculqué. Et je me souviens de tant de choses. Je me rappelle ses cadavres, avant toute autre chose. Il s’occupait des morts. De ceux qu’on lui confiait dans son entreprise de pompes funèbres. Mais aussi d’autres, ceux à qui il offrait une seconde vie. Je me souviens encore lorsque j’ai pu l’aider pour la première fois. Il m’a tout appris. Tout ce que je sais. Tout ce qui était important. La manière de traiter les cadavres. Les découper. En faire de nouvelles choses. De belles choses. Des oeuvres d’art. Que j’appris à faire également. Je me sentais bien.

Mais j’en voulais plus. Toujours plus.

D’abord, ce furent des petits animaux. Puis de plus gros. J’aimais les sentir pousser leur dernier souffle sous mes doigts, pour ensuite les remodeler comme je le souhaitais. Il m’apprit tout, du début à la fin. Jusqu’à ce que je sois assez âgée pour l’assister.


Assassin, meurtrier

C’étaient tous les mots qu’on trouvait pour lui. Il y en avait d’autres, aussi, encore moins flatteurs. Tout pour lui montrer qu’il n’était qu’un moins que rien. Ca ne m’avait pas fait mal. Parce que c’était vrai. Il avait tué, il était un monstre. Mon monstre. Du moins, aux yeux de ces personnes qui n’y comprenaient rien. Ce qu’il avait fait n’avait rien de terrible. C’était même le contraire. Il avait fait d’êtres ordinaires des objets d’art. Il avait exercé son talent sur quelques cobayes. Je ne perdis pas la peine de tenter de l’expliquer à qui que ce soit. Personne n’aurait compris. Et je devais avant tout me protéger. C’était tout ce que je pourrais faire, car même mes talents surnaturels ne pouvaient suffire à calmer l’animosité autour de lui. Personne ne pouvait voir à quel point il était spécial.

Est-ce que je l’aimais ? Je crois oui. J’eus de la peine lorsqu’il fut jugé, condamné, mené en prison. Puis lorsqu’il se donna la mort, pendu dans sa cellule. Je savais que je venais de perdre quelque chose que je ne retrouverais jamais. Que mon univers allait changer. Et c’était... déplaisant. Contrariant aussi. Et... autre chose. Que je n’aurais su définir. Mais qui me gênait profondément.

Je n’avais que onze ans. J’étais mineure, extrêmement jeune et mon existence allait devoir changer, que je le veuille ou non. J’étais une sorcière, sans vraiment savoir ce que cela signifiait. Je n’allais pas tarder à le découvrir...


Je n’ai pas vraiment eu le choix. Après l’exécution de mon père, ma seule famille était à Paris. Une famille que je n’avais jamais connue, dans une ville qui était un territoire étranger. Il me restait apparemment de nombreux cousins, mais j’atterris chez mes plus proches parentes, deux tantes, deux soeurs aussi folles l’une que l’autre, enfermées dans cette maison poussiéreuse et répugnante. Ma nouvelle demeure, ma nouvelle famille. Je n’avais d’autre solution que m’adapter. Je devais reconnaître qu’en matière de magie, ces deux cinglées en connaissaient un rayon, et semblèrent estimer de la plus haute importance que je partage leur savoir. Ce qui jusqu’à présent n’avait jamais été d’un grand intérêt pour moi, mais pouvait s’avérer utile avec le temps. De simple amatrice, je devins une élève assidue. Cela me permit de me canaliser et d’oublier les pulsions qui m’habitaient.

Du moins, durant un temps.

L’appel de la chair était le plus fort. Mais pas de la manière dont l’entend le commun des mortels. J’aimais avoir le pouvoir de faire s’échapper la vie. J’aimais le sentir. Et j’aimais ce que je pouvais faire d’eux. C’était une drogue, à laquelle je succombai rapidement et avec délice. Mes tantes l’ignoraient. Ou, si elles le savaient, elles me protégeaient et fermaient les yeux. Rien ne devait entacher la famille. Et après tout, je n’étais encore qu’une enfant…

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