How will I know ?
(© GIF + CSS BY DISTURBED)Paris, 1989.
Blanc. Blanc criard. Blanc javellisé. Blanc aseptisé. Blanc qui fait mal aux yeux, à force de le regarder. Un blanc étouffant. Un blanc oppressant. Du plancher ciré, aux murs ouatés par de rudes et géants coussins pour empêcher tous zinzins de se fendre le crâne dessus. La couche est blanche. Bref, pour les prochaines années, tu vas vivre dans une balle de ping-pong. Est-ce que tu es prête à ça, Ophélie ?
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Les chambres d'isolement, à la psychiatrie, elles sont à envisager pour des cas de nécessités particulières. Une approche thérapeutique pour des usagers qui en ont véritablement besoin. Ton regard anesthésié glisse doucement sur les murs blancs, le lit reclus dans un coin de la pièce et le minuscule carreau de fenêtre qui ouvre cette brèche sur le monde extérieur. Contre les cloisons osseuses de ton crâne engourdi dans le brouillard pharmaceutique, la voix et les paroles du docteur Rousseau planent doucement. « Une approche thérapeutique pour des usagers qui en ont véritablement besoin. » Tu continues d’admirer ce lieu, t’imprégnant de sa tranquillité, tes mains se resserrant sur la couverture de ce bouquin, seul objet que tu as tenue à apporter, alors que tu sens sur ta nuque le regard dégoulinant de compassion du toubib. Au loin, dans le couloir, tu crois entendre un cri à la mort, un beugle de folie, zestes d’intempéries que tu ne connais que trop bien, fidèle colocataire de ce manoir des barjos.
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Cette approche thérapeutique est prescrite à la demande d’un patient qui souffre d’angoisse…Ou un truc dans le genre, tu ne te souviens plus très bien comment la phrase était construite dans le dépliant que tu as consulté… il y a de cela perpète. Tiquée par ta mémoire défaillante, tu fronce les sourcils et t’enlise en les grandes questions existentielles.
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Mademoiselle Ansel. L'isolement social…… est une cause importante de mortalité. Ça aussi, à quelque part, tu ne sais plus où, tu l’as lu. Tu sais exactement dans quel plat est-ce que tu t’apprêtes à y mettre les pieds et c’est à pieds joints que tu sautes dedans.
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Je suis prête, toubib. Rassurez-vous, je ne tiens pas assez à ma vie pour me l’enlever. Sourire Colgate, clin d’œil complice et d’un bond d’antilope tu traverses le seuil de ton nouveau chez-toi.
Paris, 1990.
« Van Helsing s’approcha du cercueil de Lucy, et je fis de même. Se penchant, de nouveau il retira la partie du cercueil de plomb qu’il avait sciée ; alors, quelle ne fut pas, encore une fois, ma surprise, mêlée d’horreur !
Lucy était étendue là, telle exactement que nous l’avions vu la veille de son enterrement, et même, chose étrange, d’une beauté plus radieuse que jamais ; je ne pouvais pas croire qu’elle fût morte. Les lèvres étaient aussi rouges, non, plus rouges que de son viv---»
Ton visage de poupée frisette s’empourpre de colère, tes ébènes s’enflamment alors que du bout de tes doigts tu effleure la reliure des pages… pages déchirées et complètement fichues ! Horreur. Assassin. Meurtrier. Calamité. Enfer et Damnation. Qui est le manant qui a bouffé les pages de c’livre, putain ?! Tu ne sauras jamais la suite. C’est criminel. Mutiler ainsi Bram Stoker, c’est criminel ! Qui est l’assassin ?! Assise en tailleur sur ton lit, furax, tu contemples le livre sous toutes ses coutures…
Trop accaparée à te la jouer Colombo, c’est à peine si tu bronches d’un cil lorsque la porte de ta chambre s’ouvre et laisse se dessiner la silhouette peu avantageuse de Rousseau et… ce géant blond que tu vois pour la toute première fois.
— Ophelia Ansel, veuillez nous suivre.Stop. On rembobine le tout…
Trop accaparée à te la jouer Colombo, c’est à peine si tu bronches d’un cil lorsque la porte de ta chambre s’ouvre et laisse se dessiner la silhouette peu avantageuse de Rousseau et… ce géant blond que tu vois pour la toute première fois.
— Ophelia Ansel, veuillez nous suivre.Pause. On rembobine à demi.
…silhouette peu avantageuse de Rousseau…
…géant blond…
— Ophelia…STOP !
Ç’a l’effet d’un touché rectal, tu ouvres de grands yeux horrifiés et tourne promptement la tête vers ce viking blond. Il est grand. Immense. Colossal. Du haut de tes deux pommes et un tiers, tu dois littéralement te péter la nuque pour le lorgner dans le blanc des yeux et lui transmettre par télépathie tout le dédain que tu lui portes.
— C'est Ophélie, monsieur Devos.Eh, bah, voilà, c’est dit. Candide, tu opines du bonnet, hausse une épaule et retourne à ton petit tracas du moment : qui a mangé un bout de Bram Stoker ?
Tu te le demande bien. Tu te le demande trop bien.
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Selon-toi, m’sieur Devos, c’est le Colonel Connard, aidé de son dentier, qui a commis ce crime odieux, dans la chambre voisine ?Que tu interroges alors que d’un bond tu te lèves de ta couchette et te plante devant les deux hommes. Pour ponctuer ton dilemme, tu braques sous le pif de ce Devos le livre et ses pages mutilées.
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Corrige-moi si je me trompe, géant monsieur, mais ne serait-ce pas là des marques de dents ?Tu ramènes le livre sous ton mufle et contemple le mystère. Ce sont bien des marques de dents. Quelqu’un a vraiment bouffé Stoker ! Horreur !
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Au fait… t’es qui et pourquoi je dois vous suivre ?Que tu capitules enfin… ou presque.