Elle grogne un peu. Ronchonne de plus belle. Son corps est douleur. Ses souvenirs sont flous. Combien de fois n'avons-Nous pas vécu cette scène? N'ais-Je pas été à l'origine de toute ta frustration? Je Me rappelle, non sans une pointe de nostalgie, de Notre toute première rencontre. De Ma toute première course à travers ce nouveau corps à exploiter. Cette force de la nature. Cette musculature en rien comparable à celle que J'habitais depuis si longtemps. La nuit de Notre rencontre a été, sans contester, Ma plus belle renaissance.
Dès la première lune tu as été vachement encline au partage. Comme si tu l'attendais. Comme si tu
M'attendais. Je dois bien avouer que J'en ressens un certain degré de fierté. Aujourd'hui encore J'aspire à te l'arracher. Chaque nuit de Notre partage illicite. Chaque jour de Notre contrat tacite.
La fille - femme? - qui se tient là, juste en dessous de toi, ne semble pas nécessairement partager l'expérience. Son regard te fuit. T'évite. Y décèlerait-il ce que J'ai Moi-même su voir dès le premier soir? Moi qui n’avais de hâte que de le clamer pour Moi. Que de M'en octroyer la seule propriété. Elle lutte. Elle refuse. Dois-Je M'en sentir flatté ou éhonté? Il serait mensonge de confirmer que Je n'aurais su apprécier un peu de concurrence, soit-elle déloyale. Détourne-t-elle son attention par peur ou uniquement par respect? Par crainte ou par provocation gratuite? A travers ton nez qui se rapproche dangereusement de son propre visage, Je tente de déceler les prémisses de ce qui va ou pourrait suivre. Je suis prêt à Me protéger. Je suis aux aguets pour te garder. Mienne un jour, Mienne toujours. Je ne suis pas du genre à partager. Quand bien même il s'agit là de Ma propre progéniture.
Car c'est bien ce qu'elle est. Car c'est bien
QUI elle est. Son visage, même si étranger, ne m'est aucunement familier. Son essence Me titille les papilles plus que de raison. Sous Mon influence maladive, tu vas toi-même jusqu'à entrouvrir légèrement les lèvres. Jusqu'à humer le parfum de déjà vu qui entoure cette inconnue. Tu fais abstraction totale de son refus d'obtempérer. Tu ne bouges pas. Continue à la dominer de tout ton long. Quand bien même elle viendrait à te repousser, Nous savons tous deux qu'elle n'a aucune chance de s'échapper. Peut-être est-ce bien pour cela qu'elle semble déjà toute résignée. Cela me désole. Un peu. J'aurais certes pu apprécier à sa juste valeur un semblant de protestation. Un grognement de frustration. Si elle ne décide pas rapidement d'agir, c'est bien de Notre gueule béante que le bruit risque de s'extirper.
Elle finit par parler. Ou du moins, par articuler des mots qui sont censés former une phrase. Une ponctuation. Interrogation. Tu ne relèves toujours pas l'information. Tu te contentes de la jauger. Juger. Surplomber. Je sais que tu aimes ce sentiment de supériorité. Je le sens. C'est le même qui traverse en cet instant bien précis la totalité de Ma propre anatomie décadente. Répugnante.
Même si elle ne voit pas, elle se doit de savoir. De deviner. Et, par déduction simple, d'accepter. Tu ne réponds volontairement pas à ses questions. Non pas par indifférence, mais plutôt par ennui. Son nom, au final, t'importe bien peu. Ce n'était pas vraiment ça le but de ton interrogatoire. Et certainement pas la réponse escomptée. Est-ce qu'elle s'en rend seulement compte? Si oui, cela ne fait que confirmer Mon choix précédent. Si non ... hmm, Je ne préfère pas tâter les pistes d'une telle hypothèse.
Son palpitant commence à s'exciter. Cela reproduit exactement le même effet sur Mes propres sens en pleine exaltation. Elle transpire un peu. Frissonne de plus belle. Une telle proximité. Qui plus est maintenue dans un silence de plomb. La réalité finit par exiger son dû. Elle reporte son attention sur toi. Sur
Nous. Je Me demande vaguement si elle Me voit seulement. Si elle discerne la luisance de Mes crocs dans ta bouche. Si Mon reflet se lit dans le fin fond de tes prunelles hypnotisantes. J'ai tellement de questions à lui poser. Tout autant, si pas plus, de vérités à lui arracher. Tu restes pourtant de marbre. Fière. Imperturbable. Comment fais-tu donc pour ne pas te ruer sur elle? De confirmer ton autorité naturelle? De ... Non, tu as raison. Tout cela est superflu. Car déjà acquis de par ta seule prestance. Je reste en admiration silencieuse devant une telle maîtrise de soi. Je Me terre un peu plus dans Mon nichoir. Je Me fais vulgaire figurant. Spectateur. Voyeur.
La mélodie de sa voix reprend de plus belle. Des paroles et encore des paroles. Ne sait-elle donc faire que ça? J'ai envie de grogner. De claquer des dents. De lui arracher un premier couinement. Elle semble ne toujours pas comprendre qui tu es. Ou s'évertuer à patauger dans le nébuleux. Trop tard Ma chérie, pour cela il aurait fallu que jamais tu ne Me croises Moi. Maintenant cesse de caqueter!
- Pourquoi poser des questions auxquelles tu connais déjà la réponse?
Ta voix continue à être enivrante. Berçante. Elle réduit même le silence au néant. Elle attire irrévocablement toute attention vers elle. Vers toi.
Toi qui ne la relâches toujours pas. Elle tente de ne pas s'en offusquer. De faire abstraction de ta position toujours plus imposante. Je le sais. Je le sens. Peine perdue car déjà toi tu continues à approcher ton visage du sien. Tu contournes légèrement l'angle de ses courbes. Tu viens jusqu'à caresser l'épiderme de sa nuque ensanglantée du bout de ton - Notre - museau. Tu es tentée de goutter. De lécher. Tu n'en fais rien. Du moins, pour l'instant. Un ersatz de ronronnement s'échappe à travers un son guttural. En suis-Je seulement l'instigateur premier? Ou n'est-ce là rien de plus que ton propre consentement muet que Je perçois?
Ta bouche en fièvre vient se poser à l'orée de son oreille captive. Tes vocalises sont murmures. Ton audace est saveur et tremblements.
- Tu préfères le scénario où je suis perdue ou celui où tu es ma différente?
Tu la cherches. Tu la titilles. Tu n'enivres ouvertement de chacune de ses réactions. Ton corps réagit au sien. A moins que cela ne soit l'inverse. Ce qui serait d'autant plus logique. Je suis persuadé depuis mon for intérieur que tu as le même effet sur tout autrui assez suicidaire que pour croiser ta route. Pourtant, même s'il s'agit là d'un présent que Je te lègue plus que volontiers; Je ne peux réprimer cette pointe de jalousie. Ce soupçon de mauvaise foi. Déjà que Je suis dans l'obligation de te partager avec
Dior; hors de question pour Moi d'autoriser l'intrusion par une deuxième.
Je M'apprête à contre-attaquer.
Trop tard. Le nom tombe. Tu lui décoches un dernier coup de nez. Une caresse volatile. Effleurement éphémère. Déjà tu t'éloignes de sa peau si chaude. De son parfum si fort. Tu te redresses. Laissant la pauvre incomprise aux proies à ses propres démons. Tu commences à te déplacer dans la petite pièce carrée. Peu meublée. A l'abandon au milieu des bois. Heureusement. Avec une telle proie à même tes pieds, Il M'a été bien assez difficile que de la trouver. Que tu le veilles ou non, tu devrais t'en contenter.
Tu contournes la carcasse sans prendre garde aux flaques de sang qui l'entourent. La paume de tes pieds vient s'y écraser. C'est exaltant ... ne trouves-tu pas?
Tu prends halte à proximité de la seule fenêtre et observe les environs si soigneusement choisis par Ma seule volonté.
- L'aube vient d'arriver. Nous allons pouvoir rentrer.
La nudité n'a jamais été un problème pour toi. Mais qu'est-il d'elle?
Nous nous retournons à l'unisson en sa direction. Attendant patiemment qu'elle se redresse. Et prenne la décision, ou non, de suivre la loi du Talion.