Young heart Qui aurait eu envie de mettre au monde un enfant dans une époque pareille ? Un enfant humain, en tout cas. Car les autres créatures pouvaient bien se la couler douce et envahir chaque méandre de cet univers qui avait un jour connu l’apogée de l’espèce humaine. Pourtant, comme d’autres bébés humains, Fionola était née. Elle n’avait jamais réellement quitté Paris et les environs, mais sa mère lui racontait souvent des histoires sur ses ancêtres. Ces inconnus qui avaient quitté l’Islande pour rejoindre les terres plus au sud de l’Angleterre, puis de la France. Elle lui parlait d’une époque que la jeune fille ne parvenait pas à saisir pleinement. Une époque où ils n’étaient pas obligés de se cacher, où ils n’étaient pas traités comme des chiens dans un caniveau, où ils n’étaient pas obligés d’accomplir les basses besognes de ces créatures qui les contrôlaient, auxquelles ils appartenaient. Pourtant, contrairement à beaucoup d’autres, Fionola ne s’était jamais laissée abattre. Elle avait été le rayon de soleil de sa mère et des gens qui les entouraient. Elle aimait faire des pâtisseries et des bons petits plats pour ceux qui rentraient tard le soir après le travail éreintant. Elle aimait les choses simples et s’en contentait. Elle parvenait à trouver le bonheur et le sourire dans les détails insignifiants, ceux que les accablés ne réussissaient plus à atteindre, et elle s’évertuait à le communiquer. Bien vite, nombreux furent ceux qui venaient dans ce recoin d’immeuble délabré pour avoir leur repas et profiter de la présence lumineuse de cette enfant, de cette jeune fille, celle qui ne se laissait pas souiller par les ombres.
Precious heart Il fallut attendre de nombreuses années pour que la jeune femme soit enfin confrontée aux ténèbres du monde dans lequel elle vivait. D’une étrange façon, elle avait toujours été préservée du venin des démons qui régnaient. Il était vrai qu’elle ne sortait pas souvent, et pendant de longues années, c’était sa mère, ou des « clients », qui lui rapportaient les ingrédients dont elle avait besoin pour sa cuisine de fortune. Pourtant, sa mère finit par mourir. Si Nola en fut bien évidemment triste, elle savait aussi que c’était là le cours normal de la vie, car sa mère était simplement morte de vieillesse à cette époque où il était si simple de se faire tuer mille fois pour des choses ridicules. Non, le jour où elle fut touchée par la noirceur du monde n’était pas celui-là mais un tout à fait autre. Pour une fois, elle avait dû se rendre à ce marché caché sur une petite place entre des immeubles décrépis, pour récupérer de la nourriture, des ingrédients, quelques fruits et légumes pour nourrir les moins-que-rien. Elle connaissait le chemin, même si elle ne l’avait jamais arpenté. Elle marchait simplement avec son large cabas sous le bras. Un rayon de soleil effleura son visage, étonnante coïncidence entre son passage et l’astre qui se frayait un chemin entre deux fenêtres brisées à des étages différents et pourtant parfaitement alignées. Elle ralentit un instant pour sentir la tiède caresse puis se remit en route. Elle savait qu’il ne fallait pas trainer dans les rues. Arrivée sur place, elle fut accueillie comme si elle venait tous les jours depuis des années. Tous semblaient la connaître. Tous la connaissaient au travers les récits des autres. Il n’y avait pas un millier de jeunes femmes à la chevelure immaculée et au sourire aussi délicat qu’éblouissant. Elle avait fait le tour, récupérant ce dont elle avait besoin, donnant des pièces à ceux qui les acceptaient, promettant des pâtisseries à ceux qui les refusaient. Loin de l’économie qui régnait dans les hautes sphères, ici, tout était basé sur le troc et le partage. Si vous faisiez quelque chose d’utile à la société, vous pouviez vous servir.
Elle était sur le chemin du retour quand elle se fit bousculer. Son panier se déversa sur le sol, dans les flaques d’eau sale. Elle poussa un petit glapissement alors qu’on la jetait par terre à la suite de sa nourriture et tourna la tête vers son agresseur. Elle ne savait pas qui il était. Elle pouvait voir cependant qu’il n’était pas totalement humain. Sa peau était marquée par une ascendance démoniaque et il l’affichait avec fierté. Il s’accroupit à sa hauteur, une lueur prédatrice dans le regard.
– Ne t’a-t-on pas appris le respect, misérable créature ? – Bien au contraire… On lui avait aussi appris l’humilité et à courber l’échine. Elle baissa alors les yeux, marmonnant quelques excuses et cherchant à rassembler ses légumes. Mais le demi-démon n’en avait pas finie avec elle. Ses doigts se resserrèrent sur son poignet et il l’attira vers lui, tout contre son torse. Il la releva sans ménagement et sa main qui ne la tenait pas vin effleurer son corps à travers ses vêtements.
– Je pense que tu vas devoir te faire pardonner ma belle… – Un long frisson descendit le long de son échine et elle tenta de se dégager en voyant le sourire malsain sur les lèvres du mâle.
– Non, non, s’il vous plait… – Elle ne pouvait bien évidemment pas lutter contre sa force supérieure. Il la plaqua contre lui, son dos contre son torse et un hoquet de détresse et de dégoût lui échappa quand elle sentit la bosse contre ses fesses. Il lui lécha l’oreille avant de lui mordiller le lobe.
– Ne t’a-t-on pas dit que tu n’avais pas le droit de dire « non » ? – S’il vous plait… – gémit-elle, impuissante. Puis, soudain, elle se retrouva à nouveau projetée au sol. Elle s’attendait à subir le poids du démon sur elle, mais les secondes passèrent sans qu’il ne se passât quoi que ce soit. Quand elle osa tourner la tête vers l’endroit où il aurait dû se trouver, son regard tomba sur un second homme qui toisait de toute sa hauteur son agresseur qui était lui aussi par terre, un peu plus loin.
– Si tu t’avises ne serait-ce que de reposer les yeux sur elle, je t’arracherais chacune de tes écailles pour te les faire bouffer, tu comprends ? – tonna-t-il. Elle battit des paupières, incapable de savoir pourquoi le démon avait peur de cet homme qui semblait apparemment humain. Pourtant, il pédala effectivement sur ses pieds et ses mains avant de se relever et de disparaitre entre deux immeubles. Toujours abasourdie parce qu’il venait de se passer, elle ne se rendit pas compte que l’autre s’était approché, avait commencé à re-remplir son panier et le lui tendait. Elle eut un mouvement de recul, incertaine de ce à quoi elle devait s’attendre. Un air blessé passa sur le visage de l’inconnu mais il n’insista pas, se contentant de poser délicatement le panier sur le sol devant elle.
– Je ne te ferais aucun mal… –Elle avait fini par accepter qu’il la raccompagne jusque chez elle. A mesure que les minutes s’étaient écoulées, Nola s’était fait à sa présence à ses côtés. Il l’avait laissée à sa cuisine. Mais il était revenu le lendemain, tellement tôt que presque personne n’était encore réveillé et que les autres ne revenaient pas encore de leur travail de nuit. Elle était déjà debout pour préparer le petit déjeuner, et un diner pour les autres. Il lui avait dit qu’il voulait s’assurer que le démon ne reviendrait pas l’ennuyer. Elle lui avait répondu d’un sourire, ne lui avouant pas qu’elle était rassurée de l’avoir avec elle après une nuit à faire des cauchemars. Il revint le jour d’après, et de nombreux après cela. Elle finit par lui demander de lui donner un coup de main, car elle n’en pouvait plus de rougir sous son observation attentive. Elle lui avait appris à découper les champignons en fines lamelles, à faire des cubes presque parfaits d’aubergines, à éplucher les pommes de terre en un tour de main. Dans cette journée de ténèbres, Nola avait trouvé ce qui lui semblait être une éternité de lumière et de douceur. Les cauchemars ne la quittaient pas, mais elle savait que la lumière du jour lui apporterait maints sourires. Pourtant, une nuit, elle ne put s’empêcher de le rejoindre. Le mauvais rêve lui avait semblé plus réel que les autres fois. Elle arpentait les rues noires, tremblotant comme un feu follet, mais, d’une façon qu’elle ignorait encore, personne ne se mit sur son chemin. Dévasté par sa détresse apparente, il l’accueillit chez lui, aux creux de ses bras. Il passa la nuit à lui murmurer des mots de réconfort, parfois sans aucun sens, mais le son de sa voix l’apaisait. Et, alors que les rayons du matin effleuraient leurs visages, elle leva les yeux vers lui. Sa main sur sa joue râpeuse, elle déposa un baiser sur l’autre. Puis le silence s’étira en une petite éternité. Ses yeux sombres dans les siens si clairs. Hésitante non pas parce qu’elle doutait de ses sentiments ou des siens, mais parce qu’elle craignait ce que l’avenir leur réservait encore, elle porta ses lèvres aux siennes, délicate, comme la caresse du pétale d’une rose. Il vint placer sa large paume sur sa main, joignant leurs doigts contre son visage, avant de prolonger un peu le baiser, tout aussi tendrement, comme la promesse qu’il ne laisserait rien lui arriver.
Broken heart Les mois passèrent. Nola ne savait pas très bien s’ils s’étaient transformés en années ou pas. Elle vivait chaque jour sans songer au suivant, se contentant de ce que celui-ci avait à lui donner. Il ne l’avait pas quittée depuis ce jour. Oh, bien évidemment, il lui arrivait de vaquer à ses occupations, mais il revenait toujours vers elle. Il était là pour lui offrir le refuge de ses bras chaque nuit, l’éclat de ses sourires durant la journée. Tous avaient bien compris qu’ils étaient ensemble. Tous avaient bien compris que c’était la tendresse et la douceur qui les unissaient, malgré la taille imposante de Konan et son air bourru. Elle avait l’air si fragile entre ses bras et pourtant elle ne rayonnait jamais autant que lorsqu’elle s’y trouvait. Son cercle de clients s’était agrandi légèrement. S’y étaient ajoutés les amis de Konan. Il lui avait avoué, dans un murmure, qu’il était associé à la Résistance. Ceux qui tentaient de se battre pour que les humains aient de meilleures conditions de vie. Il avait eu peur qu’elle ne s’éloigne. Il avait été prêt à la laisser s’éloigner, pour sa sécurité. Mais elle s’était blottie un peu plus contre lui. Elle ne partirait pas. Elle était fière qu’il se batte pour cette cause. Elle avait peur qu’un jour il ne revienne pas mais elle ne le quitterait pas. Il était tout son monde, tout son univers.
Et puis, un soir, il tarda à rentrer. Elle avait vu passer des visages qu’elle savait associée à la Résistance. Elle avait nourri les bouches affamées des travailleurs et des enfants, sans rien demander en échange. Elle savait pourtant que s’il venait à arriver quelque chose, ils seraient tous là pour elle. Elle redressait l’échine de plus en plus souvent pour tenter d’apercevoir cette ruelle par laquelle il arrivait toujours. Les rayons du soleil étaient flamboyants, embrasaient le ciel, mais l’espace entre les deux immeubles restait désespérément vide. La tristesse et l’inquiétude dévoraient son cœur un peu plus à chaque mètre engloutit vers l’horizon. Elle s’efforçait pourtant de toujours sourire à ses clients, les derniers qui venaient prendre leur ration avant d’aller se coucher. Certains se contentaient d’un sourire, d’autres lui assuraient qu’il ne tarderait plus. Mais c’était à peine si elle les voyait, si elle les entendait. La nue avait prise des teintes d’un mauve profond tirant sur le bleu sombre lorsqu’enfin un bruit la tira de sa contemplation. Elle n’avait plus de bouches à nourrir depuis quelques temps mais elle était restée, assise sur un banc près de sa cuisine. Elle ne parvenait pas à se convaincre d’aller se coucher sans lui. Elle savait qu’elle ne parviendrait pas à trouver le sommeil sans lui. Elle releva la tête, ses yeux attirés vers la ruelle aux allures de gouffre. Mais là, noir sur noir, elle discerna une silhouette. Celle qu’elle aurait pu reconnaître parmi milles autres. Elle se leva, manqua de tomber dans sa précipitation, et accourut vers lui. Alors qu’elle arrivait à sa hauteur, il tomba à genoux et elle le rejoignit au sol dans la vaine tentative de le rattraper. Sous ses paumes, ses vêtements étaient poisseux. Elle ne voulait pas réfléchir à ce que cela voulait dire. Il repoussa une mèche immaculée de devant son visage et macula sa tempe de carmin. Ses yeux étaient emplis de tristesse mais il lui souriait doucement. Elle tentait de savoir où il était blessé, si elle pouvait faire quelque chose. Elle sentait la panique s’insuffler en elle et les larmes obscurcir sa vision. Elle n’avait aucun talent de médecin. Elle finit par se redresser à demi, se tournant vers les immeubles mais sa voix refusait de s’élever pour appeler de l’aide.
Il finit par prendre ses mains entre les siennes, la ramenant contre lui.
– Nola… Shhh… Shh… Calme-toi… – Mais… – Elle voulut protester, mais pour dire quoi ?
– Il te faut de l’aide… Tu… tu es blessé… Ils pourront te soigner… Je… – Son regard se perdit de nouveau au loin. Elle devait aller chercher ceux qui pourraient l’aider… mais elle ne voulait pas le quitter. Elle ne voulait pas partir pour se rendre compte qu’il était trop tard quand elle serait revenue. Elle sentait son cœur affolé sous ses paumes, ratant des battements et s’emballant la seconde d’après.
– Nola… Nola, regarde-moi. – Elle plongea son regard dans le sien. Une boule douloureuse nouait sa gorge.
– Ils ne pourront rien faire pour moi… Il est trop tard. – Mais… Non… non… Je… – Nola, écoute-moi… – Il posa ses mains de chaque côté de son visage. Ses lèvres trouvèrent doucement les siennes.
– Je t’aime Nola. – Elle secoua la tête entre ses deux paumes, les larmes traçant des lignes claires dans le sang qui maculait ses joues.
– Non, ne dis pas ça… Je ne veux pas que tu partes… – Pour la première fois, elle se sentait égoïste. Elle n’avait pas envie d’être altruiste. Elle n’avait pas envie de sacrifier son bonheur.
– Je t’aime Nola. Je t’aimerais toujours… Sois forte. – Il l’embrassa encore une fois, tendrement. Elle sentit son front se poser contre le sien. Ses paupières se fermèrent. Elle ne voulait pas qu’il les ferme.
– Non, reste avec moi… S’il te plait… Ne m’abandonne pas… – gémit-elle contre ses lèvres. Sa peau était brûlante. Le démon qui l’avait attaqué l’avait-il empoisonné ? Elle sentit le corps de Konan basculer sur le côté et, ne pouvait le rattraper, elle s’allongea au sol tout contre lui. Ses mains passaient sur ses joues râpeuses, dans ses cheveux.
– Non, non, non, non… S’il te plait… – Elle embrassa, encore et encore, ses lèvres sans vie, espérant peut-être que, comme dans les lointains contes, cela le réveille.
– Je t’en prie, ne me laisse pas toute seule… – Sa voix mourut, étranglée dans sa gorge. Elle se blottit sous son bras, incapable de le quitter. Pas tant qu’on ne viendrait pas la chercher…
Le lendemain, quand le soleil sur ses paupières fermées la réveilla, elle était épuisée. Elle avait espéré que tout ceci ne fut qu’un cauchemar… mais, s’appuyant sur un coude, elle se rendit compte qu’elle était toujours dans la rue. Quelques personnes l’entouraient. Quand elle posa le regard sur Konan, il avait l’apparence grisée de la cendre.
– Non, non, non… Non, non, non… – Elle tendit la main vers sa joue et à peine l’eut-elle effleurée que sa silhouette s’affaissa, avant d’être portée par la brise du matin.
– Non… Non… Non… – Cette fois-ci, son chagrin fut plus bruyant, ses sanglots déchirant le silence de la rue. Elle resta à genoux sur le sol, avant que certains viennent l’entourer de leurs bras… mais elle ne pouvait sentir que la douleur irradiant tout son corps depuis son cœur.
Silent heart Les jours suivants, ça avait été dur. Les semaines suivantes avaient été dures. Les mois suivants avaient été durs. Elle n’avançait que grâce à la demande que Konan lui avait faite : être forte. Elle était forte. Elle continuait. Elle nourrissait les autres. Elle avait changé d’endroit cependant. Elle ne serait pas parvenue à rester là. Pas avec son fantôme hantant chaque objet, chaque recoin. Ce n’était pas vraiment un fantôme, rien que ses souvenirs qui la torturaient. Alors elle avait bougé dans l’une des bases de la Résistance. Certains des enfants qu’elle connaissait bien lui manquaient… mais elle voulait avoir ce morceau de lui avec elle. Cette autre famille qui avait été la sienne. Ils l’avaient accueillie comme l’une des leurs. Comme la veuve de l’un de leurs soldats tombés au combat… même si mariage il n’y avait pas eu, ils n’étaient pas sans connaître les liens profonds qui les avaient unis… qui les unissaient toujours. Chaque jour, Nola s’appuyait sur la routine pour continuer à vivre. Elle survivait tout au plus, son cœur brisé comme un trou dans son torse, mais elle s’efforçait de le dissimuler. Ses sourires étaient moins lumineux, ils étaient toujours emprunts d’une tristesse sous-jacente, mais elle s’évertuait à donner un peu de joie de vivre aux autres. A leur faire oublier le combat qu’ils avaient mené durant la journée. A apaiser la peine d’un parent, d’un ami, d’un conjoint disparu. Elle n’était pas la seule à avoir le cœur brisé, et ces bribes de bonheur qu’elle apportait dans leurs vies étaient suffisantes, car tous savaient qu’ils ne pouvaient faire plus, pour l’instant.
Ce jour-là, ils avaient réussi à lui trouver du chocolat. Elle en avait fait de la mousse. Ils avaient eu à peine le temps de la goûter que le ciel s’était zébré de rouge. Un rouge presque noir qui envahit toute la nuit jusqu’à l’horizon. Bientôt seuls les éclairs étaient la source de lumière. Quelque chose s’était passé. Elle ne savait pas quoi. Elle entendait des rugissements de plus en plus forts. De plus en plus proches. Un grondement ambiant, menaçant. Des bruits d’explosion, de luttes, plus loin dans la ville mais qui se rapprochaient dangereusement. Elle avait posé son pot de mousse au chocolat.
– Les enfants… Il ne faut pas rester là. On va aller dans la forêt, d’accord ? – Ca sera comme une partie de cache-cache ? – Oui, une partie de cache-cache, c’est tout à fait ça. – Elle s’efforça de sourire, s’assura qu’ils étaient bien tous autour d’elle et qu’ils se tenaient la main, et ils quittèrent la cabane pour s’enfoncer entre les arbres. Le ciel était menaçant au-dessus de leurs têtes. Nola les fit accélérer le pas. Elle ne savait pas où ils pouvaient aller pour être en sécurité. Mais il ne devait pas rester dans l’habitation. Assurément, ce serait là qu’ils frapperaient en premier. Que s’était-il passé pour que tout change ainsi ? Un rugissement fit trembler le ciel et les arbres. Elle fut reconnaissante que les branches leur cachent ce qui se trouvait au-delà. Elle n’était pas sûre que les enfants, ni elle, aient pu survivre à une telle vision. Elle continuait à avancer, les guidant elle ne savait trop où, tentant de s’éloigner du capharnaüm.
Elle accéléra encore un peu, bien que les petites jambes des enfants ne puissent pas aller beaucoup plus vite. Elle finit par s’arrêter et s’accroupit à leur niveau. Elle les regarda un à un dans les yeux. Elle savait que, dans son dos, une large masse avançait. Elle entendait les branches qu’elle brisait sur son passage, le gémissement des troncs sur lesquels elle s’appuyait pour se frayer un passage.
– Je veux que vous vous cachiez. Ne sortez pas de votre cachette. Sous aucun prétexte. Sauf si quelqu’un que vous connaissez vient vous chercher, d’accord ? Et assurez-vous que ce sont bien eux. Posez-leur des questions. Restez par deux ou par trois. – Ils hochèrent tous la tête, même si, Nola le savait, un métamorphe venait pour eux, toutes les questions du monde ne changerait pas l’issue de la confrontation. En attendant, elle tenterait de leur faire gagner du temps en affrontant ce qui approchait. Elle n’avait aucune autre arme que sa volonté.
– Soyez forts. – leur demanda-t-elle, comme un écho de la promesse que lui avait demandée Konan.
Sois forte, Nola. Elle se redressa et les pressa d’aller se cacher. Une fois qu’ils eurent disparus entre les troncs, elle se retourna et s’avança vers les ombres.
La créature était tellement monstrueuse qu’il n’y avait pas de mots pour la décrire. Elle tremblait sur ses jambes. Que pouvait-elle bien faire ?
Sois forte, Nola. Elle n’avait aucune autre arme que sa volonté. Elle aurait pu défier le démon, lui assurer qu’il devrait lui passer sur le corps pour atteindre les enfants, mais ça semblait tellement futile, tellement dérisoire.
Sois forte, Nola. Elle sursauta alors que le mugissement de la bête se mêla à la chute de deux éclairs non loin d’elle. Elle eut le temps de voir le visage d’une jeune femme blonde avant qu’un troisième éclair ne l’aveugle. Elle l’avait déjà vue auprès des Résistants mais elle ne pensait pas avoir eu l’occasion de discuter avec elle. Profitant de sa distraction – comme s’il en avait besoin –, le démon la balaya d’un geste de la main et l’envoya cogner dans la résistante. Elles chutèrent dans un éclat de lumière puis plus rien. Rien d’autre que le noir et le froid.
Et, soudain, elle fut éjectée au sol. Ses genoux et son épaule droite heurtèrent des pavés. Le ciel était lourd et gris de nuages au dessus de sa tête. Elle battit des paupières. Elle se redressa à demi, la tête lui tourna. Elle observa les alentours sous le regard inquisiteur des passants. Les rues lui semblaient familières et différentes toute à la fois. Paris. Elle reconnaissait Paris… mais il était tellement différent de celle qu’elle avait connue. Que s’était-il passé ? Elle se souvenait du démon, de la jeune femme blonde… d’un puits de lumière. Où était-elle arrivée ? Elle croisa une adolescente armée d’une paire d’écouteurs… loin de trouver un iPhone ou autre à l’autre bout du câble, il y avait une large boîte circulaire avec un disque tournant à l’intérieur. Elle la suivit des yeux, toujours au sol, avant qu’une ombre la couvre. Elle leva la tête vers cette autre personne. Elle avait l’air bien humaine.
– Est-ce que tout va bien ? – Nola ouvrit la bouche, prit la main qu’on lui tendait et se releva. Pourtant, aucun mot ne sortit de sa gorge. Elle réessaya, sans succès.
Où suis-je ? Quand
suis-je ? Que m’est-il arrivé ? Pourquoi je n’arrive pas à parler ? Son regard empli de détresse effraya la bonne âme qui l’avait relevée qui s’échappa dans la foule, la laissant seule dans une ville, dans une
époque, qu’elle ne connaissait pas, sans voix pour seulement tenter d’expliquer ce qui lui était arrivé… et encore moins pour retrouver celle qui était tombée avec elle dans le puits de lumière.